Un recul historique pour l’industrie manufacturière

Le projet de loi 59 constitue un recul historique pour les secteurs industriels et manufacturiers qui constituaient les anciens groupes prioritaires 1, 2 et 3. Selon l’analyse de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM-CSN), les modifications proposées à la loi auront pour effet d’éliminer à terme les syndicats du champ de la prévention.

La loi adoptée en 1979, à la suite des grandes mobilisations syndicales, a introduit dans les milieux de travail des mécanismes de prévention comme un comité paritaire de santé-sécurité au travail, l’obligation de mettre en place des programmes de prévention et de santé ainsi que la création d’un poste de représentant à la prévention. L’objectif était de favoriser la prise en charge de la santé et de la sécurité dans les milieux de travail. 

Globalement, ça a bien fonctionné dans les milieux où cela a été implanté. Et c’est là le principal défaut: le déploiement progressif des mécanismes de prévention, qui devait à l’origine s’étendre à tous les milieux de travail, s’est limité à certains groupes seulement (surtout industriels) ce qui fait que seuls 15 % des travailleuses et des travailleurs sont couverts. Alors que le conseil d’administration de la CNESST avait le pouvoir d’étendre ces mécanismes à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, ils ont préféré faire les morts en manquant lamentablement de leadership. Ils ont donc mis la table pour cette réforme.

Or, plutôt que d’étendre des mécanismes qui ont fait leurs preuves à l’ensemble des milieux de travail, la réforme proposée fait table rase et propose de nouveaux mécanismes, beaucoup plus faibles, qui s’appliqueront en fonction d’un niveau de risque déterminé notamment à partir du niveau de réclamations à la CNESST, c’est-à-dire les dossiers acceptés par cette dernière. Concrètement, les milieux organisés seront pénalisés à cause du travail réalisé en prévention et perdront l’essentiel de leurs moyens.

Le rôle de la santé publique est éliminé ainsi que les programmes de prévention pour laisser la place aux médecins des employeurs. Des représentantes et représentants à la prévention, des agentes et agents syndicaux choisis par leurs pairs, seront remplacés par des représentantes et représentants à la santé-sécurité qui disposeront de peu d’heures de libération et seront redevables du comité paritaire de santé et sécurité plutôt que du syndicat. De plus, les employeurs auront la possibilité de créer des comités multiétablissements risquant ainsi de déraciner complètement la santé-sécurité des milieux de travail. Pour les milieux classés comme à risques élevés, la perte d’heures de libération est d’environ 20 %, mais pour ceux classés à risques modérés et faibles, elle est de 80 à 85 %. 

Jean-François Hardy, président du syndicat de General Dynamics à 
Saint-Augustin

À l’usine de Saint-Augustin de General Dynamics, la différence est majeure. « Le représentant en prévention dispose de 16 h de libération par semaine », nous explique Jean-François Hardy, président du syndicat, « la personne est choisie par le syndicat, c’est le vice-président santé-sécurité qui est représentant à la prévention en même temps. Cette personne-là est complètement indépendante et libre de ses mouvements. Le temps nécessaire pour participer au comité paritaire de santé-sécurité de l’usine est calculé à part, ce n’est pas dans la même banque de libération. » Avec le projet de loi 59, le nouveau représentant à la santé-sécurité ne disposerait plus que de 3 h par semaine, incluant le temps de réunion du comité et serait redevable à ce dernier.

« Dans notre cas, tout est conventionné et on vient tout juste de signer pour cinq ans, alors on est quand même chanceux », dit Jean-François Hardy, « mais ça ne veut pas dire que ce ne sera pas un enjeu de négociation dans cinq ans, c’est quand même des coûts pour la compagnie. » 

Et advenant le cas où ça devient un enjeu de négociation, y aurait-il mobilisation des troupes ? « J’aimerais pouvoir dire oui, mais je ne suis pas optimiste », concède Jean-François Hardy, « s’il y a des attaques sur des sujets qui sont importants pour les travailleuses et les travailleurs, qui les touchent directement, oui, sans doute, il y a déjà eu des grosses luttes en SST ici, mais s’il s’agit seulement de réduire nos heures de libération et de réduire notre capacité d’action, pas sûr… »


Extrait de l’édition spéciale sur le projet de loi 59 de février 2021 du journal Le Réflexe