En déposant le projet de loi no 5 sur la généralisation de la maternelle 4 ans, le gouvernement Legault pense faire un bon coup. Le premier ministre parle même de « grand projet de société » qui va « changer la donne ». Une fausse bonne idée, répondent les syndicats.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information

L’école n’est pas prête

« C’est une fausse perception que de penser que l’école, c’est mieux pour les enfants que les services de garde éducatifs », lance d’emblée Louise Labrie, présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs des centres de la petite enfance de Québec Chaudière Appalaches (CSN), et représentante du secteur des CPE à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS). « Dans le développement de l’enfant, jusqu’à 5 ans, sinon 7 ans, le moyen d’apprendre passe par le jeu et l’expérimentation. »

« L’école québécoise n’est pas prête à accueillir les enfants de 4 ans », croit Carole Dion, présidente du Syndicat des éducatrices et éducateurs en milieu familial de Sainte-Marie — CSN, qui cite en vrac les problèmes de rénovation, la pénurie d’enseignant-es, les cours d’école qui ne sont pas adaptées aux tout-petits sans parler du ratio adulte-enfants qui est beaucoup plus élevé à l’école. « Dans un service de garde en milieu familial, c’est 1 adulte pour 6 enfants ou 2 pour 9 ; dans un CPE, c’est 1 pour 10 ; dans une école, c’est 1 pour 15. C’est beaucoup plus gros », rappelle Carole Dion.

« On n’est pas là pour nos “jobs”, notre souci, c’est les enfants de la prochaine génération, assure Louise Labrie. Ce n’est pas en les rentrant plus tôt à l’école qu’on va leur éviter le décrochage scolaire. Surtout pas avec nos écoles, dans l’état où elles sont, avec du personnel qui n’est pas formé pour ça. Les écoles ne sont pas configurées pour accueillir des enfants de 4 ans, les isoler et les protéger. » « Est-ce qu’on peut laisser les enfants être des enfants, sans vouloir les scolariser à tout prix ? Les laisser vivre leur petite enfance? », se demande Carole Dion.

Le dépistage se fait déjà

Deux arguments principaux sont utilisés par le gouvernement pour justifier son projet. Premièrement, il se base sur le fait que 20 % des enfants de 4 ans ne fréquentent pas de service de garde ou la maternelle. Deuxièmement, il évoque le dépistage précoce et avance que les enfants ayant des difficultés seront mieux servis dans les écoles que dans les services de garde.

Les responsables de service de garde en milieu familial sont à la limite d’être insultés par le discours gouvernemental sur le dépistage. « Le gouvernement dit qu’il faut déceler les problématiques que les enfants peuvent avoir, mais on le fait déjà ! », s’exclame Carole Dion. « Le problème sur le terrain, c’est que l’on fait le dépistage, mais qu’il n’y a pas de ressource, les parents sont mis sur des listes d’attente pour voir un professionnel. On perd six à huit mois pour mettre en place un plan d’intervention avec les enfants. »

Même son de cloche du côté des centres de la petite enfance (CPE) : « Le problème, ce n’est pas le dépistage, ce sont les services professionnels », confirme Louise Labrie. « Ce qui se passe, c’est que les parents qui en ont les moyens finissent par payer ; sinon, leur enfant est mis sur une liste d’attente qui débloque, peut-être, une fois à l’école. » Pour la syndicaliste, l’égalité des chances n’est pas là.

De plus, il ne faut pas oublier que l’austérité a frappé durement l’école québécoise et le système de santé et de services sociaux. « Faire croire aux parents que leurs enfants vont avoir plus de services parce qu’ils sont à l’école, c’est leur mentir, affirme Louise Labrie,

w w car ce sont des services qui ne sont plus là, autant au préscolaire qu’au scolaire. » Pour la syndicaliste, il vaudrait mieux offrir les services à ceux qui en ont besoin, mais pour cela il faudrait que le dépistage se fasse par des professionnels, dans les familles.

Les parents ne seront pas gagnants

La question de l’accessibilité est au cœur du discours gouvernemental. En annonçant la création de 5 000 classes de maternelle 4 ans d’ici cinq ans, on espère offrir assez de place pour 50 % à 80 % des enfants de cet âge au Québec. Le « hic », c’est que les études prouvent que les enfants qui viennent d’un milieu à faible revenu fréquentent moins les services de garde éducatifs que les plus nantis. Or, la maternelle 4 ans ne sera pas plus avantageuse financièrement pour les parents.

« Peut-être que ça peut sembler alléchant, mais il faut être conscient des coûts qui y sont liés », prévient Carole Dion. Ainsi, les parents devront payer notamment pour le service de garde le matin et en fin de journée ainsi que les repas du midi en plus des journées pédagogiques. De plus, il ne faut pas oublier que l’école est fermée à certaines périodes comme les fêtes et les vacances d’été, et que les enfants de 4 ans ne sont pas admis aux terrains de jeu. « Ça peut être intéressant dans certains cas, par exemple, si l’aîné est déjà à l’école, mais je ne crois pas qu’une majorité de parents dont les enfants ont une place en CPE va opter pour la maternelle 4 ans. Ça va dépendre beaucoup des moyens financiers et de l’organisation familiale », pense Louise Labrie.

Que veut-on pour les enfants ?

Pour les syndicats, il faut revenir à la base et se demander ce que l’on veut pour les enfants. « Il faudrait se poser la question : est-ce que l’on veut que tout le monde soit couvert par les services de garde éducatifs et les maternelles 4 ans ? C’est sensé être un choix », rappelle Louise Labrie, pour qui la maternelle 4 ans est en train d’essayer de faire ce que la maternelle 5 ans est censée faire : socialiser les enfants qui en ont besoin et les préparer à l’école. « Ce n’est pas en développant des maternelles 4 ans pour tous que l’on va régler le problème qui peut se poser avec les enfants qui arrivent à l’école sans avoir été en service de garde éducatif », pense Louise Labrie.

« Quand le ministre dit que ça va rester un choix, ce n’est pas vrai », dit Louise Labrie. « L’alternative à la maternelle 4 ans, pour bien des parents, ce sont les services de garde éducatifs, mais ce n’est pas un vrai choix : s’il n’y a pas de place, les gens vont aller vers la maternelle. Ce serait un vrai choix s’il y avait assez de places en CPE et milieu familial. » Maternelle 4 ans et services de garde éducatifs ne sont pas sur un pied d’égalité dans la politique gouvernementale. « Quand est-ce que le ministre de la Famille va faire comme son collègue de l’éducation et enchâsser dans une loi que tous les enfants de moins de 4 ans ont droit à une place en service de garde éducatif ? », conclut Louise Labrie.


La CSN en campagne

Au moment où vous lirez ces lignes, la CSN aura lancé une campagne nationale sur le thème « 4 ans, c’pas grand ». Outre des rencontres avec des députés, qui sont déjà en cours, la CSN prévoit déposer un mémoire en commission parlementaire. Des outils Web et des affiches sont également au programme pour sensibiliser la population. « On va faire appel à la population et aller chercher des appuis sur le terrain, dit Carole Dion, il faut conscientiser les parents aux implications du projet gouvernemental. »

Sommes-nous si riches ?

En campagne électorale, la Coalition Avenir Québec (CAQ) avait évoqué le chiffre de 250 millions de dollars pour réaliser son projet de maternelle 4 ans. Ensuite, la somme est passée à 400 millions, puis 700 millions. Dans le budget déposé en mars, il est maintenant prévu plus d’un milliard de dollars. « Sommes-nous si riches comme société que l’on peut se permettre de payer si cher pour dédoubler les services aux 4 ans ? », demande Louise Labrie. « Il me semble que c’est un mauvais choix d’utilisation des fonds publics. »

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Extrait du numéro de mai 2019 du journal Le Réflexe