Québec, 15 juillet 2020. – Ça fait des mois que les responsables de service de garde (RSG) en milieu familial syndiquées à la CSN tirent la sonnette d’alarme : de plus en plus de femmes quittent la profession. L’hémorragie est bien réelle, si le gouvernement ne fait rien, on se dirige tout droit vers une crise sans précédent.

Voici le témoignage de l’une de ses femmes qui quittent la profession. Militante efficace et appréciée, Carole Dion était présidente du Syndicat des éducatrices et éducateurs en milieu familial de Sainte-Marie — CSN. Nous lui souhaitons évidemment du succès et du bonheur pour la suite de sa vie professionnelle après près de 25 ans comme RSG.


Témoignage de Carole Dion, ex-responsable de service de garde en milieu familial

Le 14 juillet 2020,

Le 26 septembre 1996, je devenais responsable de service de garde en milieu familial accrédité par une agence de garde. 

Carole Dion, présidente du Syndicat des éducatrices et éducateurs en milieu familial de Sainte-Marie — CSN.

Mon bébé venait tout juste d’avoir un an.  Permettez-moi de vous dire à quel point j’étais heureuse d’avoir la chance de demeurer avec mes enfants à la maison, mais aussi d’ouvrir ma résidence à d’autres enfants afin de les voir grandir et se développer dans un milieu sain, sécuritaire, chaleureux et aimant. Pouvoir ainsi continuer à pourvoir aux besoins de ma propre famille tout en étant rémunérée.

Ayant 3 enfants de moins de 9 ans, je ne pouvais recevoir que 3 autres enfants.  Mais devant la demande grandissante en matière de garde, l’agence de garde me demanda à ce moment si j’étais intéressée à augmenter mon ratio à 9 enfants avec une assistante afin de répondre aux besoins de beaucoup de parents qui étaient en quête de place.

À ce moment, nous devions suivre une formation obligatoire d’une durée de 45 heures au cours des deux ans suivant notre accréditation. L’exigence également de suivre une formation de premiers soins d’une durée de 6 heures et qui devait être renouvelée aux trois ans, et bien sûr, l’obligation de suivre une formation continue d’une durée de 6 heures annuellement.

Je me suis donc inscrite à toutes ces formations que j’ai dû prendre en soirée ou durant les fins de semaine, soit dit en passant en prenant de mon temps personnel et en volant du temps de qualité à ma propre famille.  Mais j’étais tellement heureuse et naïve à cette époque.

En 1997, la création des places à 5 $ et de nouvelles exigences de la part du ministère de la Famille venaient s’ajouter, dont l’obligation d’offrir des services de garde s’échelonnant sur une période maximale de 10 heures par jour. Oups 10 heures par jour !  Quel travailleur au Québec travaille 10 heures sans être rémunéré pour les 2 heures supplémentaires ? 

Déjà 1 an après mon ouverture officielle, la bataille commençait.

Respect de notre statut de travailleur autonome, augmentation de la subvention journalière par enfant, augmentation de la subvention pour enfants poupons, uniformité dans l’application des lois et des règlements fait par les CPE, droit au remplacement pour la RSG et j’en passe.

À ce moment, le ministère n’avait pas une très grande reconnaissance pour notre travail auprès des enfants et allait même jusqu’à nous offrir 0,10 $ d’augmentation par jour par enfant. Oui ! Oui ! Vous avez bien lu 0,10$.

Mais avais-je vraiment le choix d’accepter ? Je devais moi aussi continuer de gagner ma vie et c’est la profession que j’avais choisie, car moi je désirais éduquer mes enfants moi-même.  Était-ce mal de prendre cette décision ?  Était-ce une raison pour me sous-payer et profiter de ma naïveté parce que j’avais fait le choix de rester à la maison et d’offrir des services dans ma résidence pour permettre à d’autres femmes d’aller travailler à l’extérieur ?

Pourquoi le ministère pensait-il que je ne valais pas plus ?  Les enfants reçus dans mon milieu ne passaient pas la journée à regarder la télévision, bien au contraire ! Beaucoup d’activités éducatives leur étaient offertes durant toute la journée de 7 h à 17 h.  Peut-être qu’il pensait que ceux-ci étaient laissés à eux même ?  Mais détrompez-vous !  Ma journée débutait à 6 h. Planification et préparation du repas du midi, planification des activités et du matériel pour les activités de la journée et je vous épargne tout le côté administratif. À la fermeture de mon milieu, ce n’était pas terminé.  Non ! Non ! Je devais nettoyer les jouets, les planchers, chaises hautes, bancs d’appoint, ranger, nettoyer les aires de jeux intérieures, la salle de bain, etc. Il était rendu 17 h 45.  Et voilà que j’étais prête pour le lendemain.  La journée était loin d’être terminée, il ne faut pas oublier que je devais m’occuper de ma propre famille aussi.

La syndicalisation des responsables de service de garde en milieu familial a fait son apparition en 2008.  Les responsables entretenaient de grands espoirs face à cette nouvelle.  Espoir qui s’est vite changé en calvaire.  Oui, car le ministère en a profité pour nous attribuer un statut de travailleur hybride.  Statut avec lequel il pouvait jouer en sa faveur quand cela faisait son affaire.

Voilà que les exigences continuaient d’augmenter encore et encore, sans que notre revenu soit représentatif à l’ampleur de la tâche de travail. 

Malheureusement, devant si peu de reconnaissance de la part du ministère, j’ai pris la décision la plus difficile à prendre de ma vie soit de fermer définitivement mon milieu le 17 juillet 2020 après y avoir consacré 24 ans.

Cette décision m’a amené à devoir annoncer la nouvelle rapidement aux parents utilisateurs de mon service, afin qu’ils puissent trouver une autre place pour leurs petits trésors, chose qui ne fût pas très évidente pour eux.  Je vous laisse deviner leurs réactions à cette nouvelle. 

Je leur ai bien expliqué que ma décision n’était pas contre eux, mais bien contre le ministère et des conditions de travail que celui-ci nous imposait, et ce, depuis plusieurs années.

Cette profession m’a rempli de fierté quand je voyais les enfants quitter mon milieu autonomes, fiers d’eux, et avec un bagage qui leur permettait d’affronter le milieu scolaire.

Depuis le début de l’année 2020, je ne réussis plus à comptabiliser le nombre de fermetures de service de garde en milieu familial et ça se poursuit.

Je suis épuisée de me battre, je suis écœurée de ne pas être reconnue à ma juste valeur, alors, à quoi bon tenter de croire, espérer qu’enfin un jour je réussisse à obtenir cette reconnaissance pour tout le travail que j’ai à effectuer.  Vous avez gagné. Le ministère m’a poussé vers la porte de sortie. 

Il faut que les choses changent, et rapidement, car je ne vois pas à ce stade-ci comment le ministère pourra répondre aux demandes des parents du Québec à la recherche de place si la situation perdure et que tous les services de garde en milieu familial régis et subventionnés ferment leurs portes.  Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’Amérique qui pleure, mais bien toutes les responsables de services de garde en milieu familial.

En espérant que ces quelques mots pourront vous permettre de faire une prise de conscience devant l’urgence de réagir à cette situation.

Carole Dion, ex-responsable de service de garde en milieu familial