(La rédaction) Les organisations syndicales (CSN, CSQ, FTQ) unissent leurs forces dans une campagne pour un régime entièrement public et universel d’assurance médicament. Elles jugent que le régime mixte actuel est inéquitable, injuste, trop coûteux et qu’il est temps de compléter le système public de santé.

Le Canada et le Québec font bande à part

Nous faisons valoir que le Canada est le seul pays de l’OCDE à avoir un système de santé public qui n’inclut pas une couverture universelle pour les médicaments d’ordonnance. Le Québec, pour sa part, a une forme hybride d’assurance médicament : une partie de la population est couverte par le régime public et l’autre partie par divers régimes privés. Ce régime mixte génère plusieurs problèmes et injustices.

Lors de son adoption, en 1997, le régime mixte québécois représentait une réelle avancée en permettant à près de 1,5 million de personnes de bénéficier d’une protection pour les médicaments d’ordonnance. En 2017, près de 45 % de la population était couverte par le régime public. À l’origine, le gouvernement visait l’adoption d’un régime entièrement public, mais cela ne s’est jamais produit. Aujourd’hui, le régime mixte pose un problème à plusieurs niveaux.


Un régime inéquitable et injuste

Le régime public est financé par l’État ainsi que par des primes, les franchises et coassurances des personnes assurées.

Les coûts pour les personnes peuvent s’élever jusqu’à 1066 $ par année, ce qui représente une charge énorme pour les personnes à faible revenu. Ainsi, le nombre de personnes qui ne prennent pas leurs médicaments selon les directives du médecin pour des raisons financières est en croissance. Entre 2013 et 2016, la proportion est passée de 5 % à 9 %. De plus, le pourcentage est deux fois plus élevé chez les personnes ne disposant pas d’une assurance privée. Il est inconcevable que des personnes doivent choisir entre prendre leurs médicaments ou manger.

Du côté des personnes ayant une assurance privée, comme elles sont obligées d’y adhérer, on constate que certaines personnes, notamment les travailleurs et les travailleuses à temps partiel et les personnes retraitées, doivent payer une portion disproportionnée de leur revenu pour s’assurer (jusqu’à 10 %). De plus, étant donné la diversité des régimes en place, les personnes se retrouvent à ne pas avoir la même couverture (certaines étant notoirement meilleures que d’autres). Offrir une couverture en fonction du milieu de travail et non des besoins médicaux est forcément inéquitable et ça se traduit par une difficulté réelle d’accès aux médicaments. De plus, les règles différentes font en sorte que les coûts des médicaments ne sont pas les mêmes selon que l’on soit assuré par le régime public ou un régime privé (le coût par ordonnance des régimes privés est en moyenne 33 % plus élevé que dans le public).

À noter que l’iniquité du régime mixte se répercute aussi du côté de l’économie et des entreprises puisque les employeurs qui n’offrent aucun régime n’ont pas à payer de primes (cela concerne près de 2 millions d’emplois).


Un régime trop coûteux

Selon les données disponibles, le coût des médicaments est extrêmement élevé au Québec.

En 2014, les dépenses totales pour les produits pharmaceutiques (médicaments d’ordonnance et en vente libre) étaient de 1087 $ par personne au Québec. Dans le reste du Canada, la dépense s’élevait à 912 $ alors que la médiane pour l’ensemble des pays de l’OCDE était de 603 $, soit 45 % de moins qu’au Québec.

Non seulement on paie plus cher au Québec, mais en plus on y contrôle moins bien la croissance des coûts. Ainsi, la croissance annuelle des prix des médicaments est plus importante et plus rapide au Québec qu’ailleurs au Canada ou dans les autres pays de l’OCDE. Concrètement, la présence de plusieurs payeurs augmente les coûts d’administration et réduit le pouvoir d’achat et de négociation sur le marché, donnant le gros du bâton aux compagnies pharmaceutiques. Comme les médicaments représentent une proportion grandissante des dépenses du système de santé et des services sociaux, cela rajoute à la pression sur les finances publiques.


Un enjeu pour les syndiqué-es

Dans les milieux de travail où un régime d’assurance collective existe, la couverture est de plus en plus dispendieuse au point où cela devient un enjeu pour de nombreux syndicats. Depuis 2016, les primes ont augmenté en moyenne de 8,7 % par an, bien plus vite que l’inflation ou les salaires. D’ici 2025, certaines analyses vont jusqu’à dire que la croissance totale atteindra 130 %. Évidemment, ces hausses ont un impact certain lorsque vient le temps des négociations collectives et mènent à des débats déchirants dans bien des syndicats.

Notons qu’actuellement, tout régime d’assurance collective doit légalement comporter une assurance médicament. Impossible, donc, d’avoir une assurance salaire ou invalidité autrement.


Pour un régime public et universel

Nous jugeons donc qu’il est temps de compléter le système public de santé et de créer un régime public et universel d’assurance médicament. Le mode de financement serait à l’image du système de santé (contribution du fédéral, contribution des employeurs, impôt progressif sur le revenu). À l’image d’une visite chez le médecin ou de l’hospitalisation, qui sont sans frais, les médicaments d’ordonnance seraient gratuits, accessibles à toutes les personnes et considérés comme une composante du système de santé. Il s’agirait là d’une avancée majeure en matière de justice sociale.

Selon nos calculs, appuyés sur de nombreuses études, l’instauration d’un régime public et universel serait également très bénéfique pour les finances publiques. Tout dépendant des scénarios, les dépenses totales en médicaments seraient réduites de 18 % à 40 %. On parle ici d’une économie variant de 1 à 4 milliards $ par an.

Un régime entièrement public permettrait d’améliorer l’efficacité du système de santé, d’offrir une couverture universelle accordant le même niveau de protection à toutes et tous ainsi qu’un accès équitable aux médicaments d’ordonnance.

Un sondage national mené par Angus Reid en 2015 révélait que 91 % des Québécoises et des Québécois sont en faveur de l’établissement d’un régime entièrement public d’assurance médicaments. Les obstacles à l’adoption d’un tel régime ne sont pas économiques, mais politiques. Il est possible de faire autrement et il est grand temps.


*Textes basés sur l’argumentaire de la campagne « La pièce manquante » sur le site web assurancemedicaments.csn.qc.ca


Extrait du numéro de février 2019 du journal Le Réflexe