Justin Trudeau et François Legault ont fait le déplacement pour l’annonce de l’intégration du chantier Davie dans la Stratégie nationale en matière de construction navale. Photo : Pascal Ratthé

Chantier Davie

Une injustice enfin réparée

L’annonce a été faite en grande pompe le 4 avril dernier, en présence des deux premiers ministres et de tout le gratin politique, Chantier Davie est intégré à la Stratégie nationale en matière de construction navale. Enfin ! La réparation de cette injustice historique ouvre la porte à de juteux contrats fédéraux et permet aux travailleuses et aux travailleurs d’envisager l’avenir avec optimisme.

Vous avez dit injustice ? 

La Stratégie nationale en matière de construction navale (SNCN) est un projet à long terme qui vise à remplacer la flotte fédérale de navires, autant les navires de combat que civil. On parle de plusieurs milliards de dollars de contrats. Or, au moment de son lancement en 2011, Chantier Davie était en difficulté, et malgré l’appui du gouvernement du Québec, n’avait pas pu se qualifier, contrairement à deux plus petits concurrents, soit Irving (Halifax) et Seaspan (Vancouver).

« C’était une injustice pour le Québec que nous n’avons cessé de dénoncer sur toutes les tribunes », explique la présidente de la CSN, Caroline Senneville, « deux chantiers maritimes pour un pays comme le Canada, ce n’est clairement pas assez. » Pour la syndicaliste, il s’agissait d’une décision très mal avisée. Et, de fait, la stratégie a connu bien des ratés, dont notamment le fait qu’aucun navire n’ait été livré par les deux autres chantiers à ce jour, ce qui a progressivement amené le gouvernement à revoir sa position.

Il ne faut toutefois pas se leurrer, le gouvernement fédéral n’a pas soudainement vu la lumière. Bien des pressions et des représentations ont été nécessaires. « On est finalement arrivés à bon port, mais il faut souligner tout le travail qui a été réalisé depuis 12 ans par le conseil central, notamment par l’ancienne présidente Ann Gingras, pour qui c’était un dossier quasi quotidien et prioritaire », souligne l’actuelle présidente du conseil central, Barbara Poirier, « c’est la preuve qu’il ne faut jamais lâcher, toujours y croire, qu’il faut faire les représentations, prendre toutes les chances. Aussi, dans ce dossier-là, on ne se battait pas contre les propriétaires, eux aussi y ont cru et ont investi pour vrai, on s’est battus avec les propriétaires, pour les travailleurs. »

« Il faut célébrer les victoires, c’est important, et la Davie c’est une grande victoire », poursuit Louis Bégin, président de la Fédération de l’industrie manufacturière (CSN). « Nous sommes fiers d’avoir accompagné les syndicats du chantier et l’entreprise dans cette bataille pour la reconnaissance et l’inclusion », dit-il, « soyez assurés que la CSN et ses composantes seront là également pour la suite et les autres batailles à mener. »

Les travailleuses et les travailleurs sont les héros de l’histoire

Barbara Poirier tient tout de même à rendre à César ce qui appartient à César. « On va se le dire, quand bien même que le conseil central, la FIM et la CSN s’étaient époumonnés pendant 12 ans, sans les travailleuses et les travailleurs qui se sont accrochés et qui ont fait de la Davie le meilleur chantier en Amérique du Nord, on serait arrivés à rien », dit-elle. Les travailleuses et les travailleurs sont les vrais héros de l’histoire.

Jean Blanchette, ouvrier de production et président du Syndicat des travailleurs du chantier naval de Lauzon (CSN), est un de ces travailleurs qui s’est accroché. Son parcours est typique de celui de la majorité des ouvriers de sa génération à la Davie. Embauché en 1981, en 42 ans, il n’aura travaillé sur le chantier que 22 ans.

« À l’époque, quand on rentrait au chantier, il y avait beaucoup de monde sur la liste de rappel », se souvient Jean Blanchette, « ils nous appelaient quand ils avaient besoin de monde sur une construction, mais ils nous renvoyaient chez nous dès que les besoins baissaient. Tu étais tout le temps en in and out tant que tu n’avais pas accumulé une ancienneté décente. » Après des années fastes, le chantier a vécu des années creuses de 1996 à 2007 avant de finalement faire faillite en 2010.

C’est à cette époque que les syndiqués ont accepté de faire énormément de concessions dans leurs conditions de travail dans l’espoir de garder le chantier ouvert. C’était d’ailleurs une condition explicite à la vente du chantier à un repreneur. Des concessions avec lesquelles les travailleuses et les travailleurs ont dû vivre pendant une douzaine d’années (en plus du chômage relativement fréquent). Jean Blanchette tient à le mentionner : « je veux remercier tous les collègues qui y ont cru autant que moi, qui ont peut-être pris leur retraite aujourd’hui, mais qui ont mis tous les efforts au fil des ans et qui ont permis de garder le chantier ouvert. »

Il faut le dire, avec les négociations entourant l’intégration du chantier dans la SNCN, le temps des concessions est terminé. « On a réussi à ramener les conditions de travail en tête de peloton dans la région lors des dernières négociations, ce qui est une bonne chose et augure bien pour l’avenir », estime Jean Blanchette, « on a signé une convention collective de huit ans en fonction du fait que l’on soit nommé troisième chantier. Il faudra réorganiser le travail avec l’employeur à cause des nouveaux équipements. On aura des choses à ajuster si on se rend compte qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, c’est un processus qui va rester vivant. » L’objectif est autant de garantir une certaine paix industrielle que de contrer la pénurie de main-d’œuvre et les difficultés de recrutement.

Jean Blanchette, président du STCNL Photo: Pascal Ratthé

Prochaines étapes

Évidemment, si une étape primordiale a été franchie, ce n’est pas tout de suite que la construction des navires va reprendre. « Le processus est enclenché, mais ça va peut-être prendre deux ans avant de commencer à construire des bateaux », précise Jean Blanchette. À court terme, le chantier a besoin d’être modernisé et rénové. Le gouvernement du Québec et la compagnie ont déjà annoncé des investissements de 840 M$ à cet effet. « La rénovation du chantier va commencer l’année prochaine au niveau des infrastructures », précise le président du syndicat.

Actuellement, Davie et le gouvernement fédéral sont en négociation sur le coût de la construction des navires. On parle de contrats de 8,5 milliards $ au total, ce qui implique quand même quelques tractations. « Quand on construit des bateaux, il y a beaucoup de design à faire », rappelle Jean Blanchette, « le départ des constructions neuves va se faire en 2026-2027. »

Pour les travailleuses et les travailleurs, c’est le retour de l’espoir, selon le président du syndicat. « Plusieurs avaient été échaudés avec les années, là il y a des travailleurs qui viennent me voir et qui me disent “moi, Jean, je venais travailler au jour le jour, mais là je peux regarder vers l’avant », raconte Jean Blanchette, « pour les jeunes, ils voient ça d’un bon œil, c’est de la job pour au moins 20 ans. Au moins il y a de l’espoir, ce n’est pas rien ça. »


Extrait du numéro de mai 2023 du journal Le Réflexe