Négociation post-fusion à Radio-Canada

Une tâche colossale

Le Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN) est confronté à une tâche colossale depuis deux ans, négocier une première convention collective pour trois groupes qui appartenaient auparavant à des syndicats différents. Le Réflexe s’est entretenu avec Bruno Boutin, coordonnateur intérimaire pour Québec et membre du comité de négociation, pour en savoir plus. « On n’est pas au bout de nos peines, mais pour la première fois depuis deux ans, j’aperçois la lumière au bout du tunnel », dit-il.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information


On reconnaît Bruno Boutin, coordonnateur de Québec et membre du comité de négociation (à gauche), lors de l’activité syndicale du 2 novembre dernier. Photo : Amélie Charlebois

Tout reprendre de zéro

Trois des quatre syndicats du réseau français de Radio-Canada, celui des employé-es de bureau, celui des techniciens et artisans et celui des communications, ont été forcés de fusionner en 2015, à la suite d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles.

Le SCRC (FNC-CSN) compte aujourd’hui 3 000 membres, dont environ 220 à Québec. « Lorsque l’on rassemble des gens issus de trois univers différents, les discussions peuvent être longues pour en arriver à des consensus », explique Bruno Boutin, « il faut négocier entre nous et après avec le boss, c’est différent d’une simple reconduction. »

Il faut dire que l’employeur est en demande et voulait changer beaucoup de choses. Le syndicat parle même d’un projet « minimaliste » (pour rester poli). « À la suite du dépôt, notre porte-parole à la table de négociation a qualifié le projet patronal d’indigne d’une négociation », raconte Bruno Boutin, « on leur a dit que s’ils y tenaient on pouvait garder la table des matières, mais c’est tout. Essentiellement, depuis ce temps-là, on pousse de la virgule, on réécrit tout. »

Une trentaine de matières ont été réglées jusqu’à maintenant et il en reste une trentaine, la plupart à incidence financière. « Ça débloque et on avance, petit train va loin », pense le syndicaliste, « ce n’est pas arrivé souvent qu’on se rende aussi loin sans médiation. » Une trentaine de journées de négociation sont prévues d’ici le mois de mars, à raison de trois jours par semaine. « On verra lorsqu’on sera rendu au salarial, au début mars, ça pourrait jouer du coude, mais pour l’instant c’est encourageant », conclut Bruno Boutin.


Une victoire syndicale à Québec

Les batailles syndicales ne se limitent pas aux négociations collectives. Les caméramans de Radio-Canada, à Québec, ont en effet récemment remporté une importante victoire.

En effet, depuis le 8 janvier 2018, les caméramans sont revenus sur un horaire normal de cinq jours après 5 ans sur un horaire de 10 jours. Les caméramans devront toutefois assurer deux périodes de transition par année, lors desquelles ils devront travailler 8 fins de semaine consécutives. Techniquement, la convention permettrait à l’employeur d’affecter les caméramans 39 fins de semaine par année, mais là ce sera 16.

L’ancien horaire, en vigueur depuis 2013, prévoyait 10 jours de travail suivi de courtes périodes de repos (les séquences de 10 jours consécutifs étaient précédées de 4 jours de congé, suivies par 2 congés et reprise du travail pour 7 ou 8 jours consécutifs) et avait été introduit pour permettre de continuer de faire des bulletins de nouvelles les fins de semaine sans faire d’embauche supplémentaire. Cet horaire causait toutefois des problèmes aux caméramans, tant aux plans ergonomiques que psychologiques, et le syndicat les avait appuyé dans leurs démarches de signalement de risque en santé et sécurité au travail. Après bien des détours, l’employeur niait le problème, des rapports d’experts ont fini par donner raison aux caméramans à l’automne dernier.

« Pour les gens concernés, c’est une belle amélioration », nous dit Bruno Boutin, « ça permet de mieux prévoir sa vie en connaissant à l’avance sa séquence de travail. »


Trois grands enjeux

Outre l’indexation des salaires, dont les membres parlent beaucoup (il faut savoir que selon le corps d’emploi, les dernières augmentations remontent à 2013, 2014 ou 2015), le syndicat identifie trois grands enjeux : l’évaluation des emplois, la surcharge de travail et les statuts d’emplois.

Les développements technologiques des dernières années ont amené de grands changements dans les tâches des employé-es de Radio-Canada. « La technologie, les iPhone par exemple, permet une démocratisation des tâches », explique Bruno Boutin, « mais actuellement c’est le Far West ». Il faut dire que ce travail n’a pas été fait depuis 1998 dans le cas des employé-es de bureau, 2001 pour les journalistes et 2005 pour les techniciens. « Il y a bien des choses qui ont changé depuis, par exemple, il n’y a plus vraiment d’opérateurs de magnétoscope, or ça existe encore dans les tâches », illustre le syndicaliste. Le syndicat veut qu’un comité paritaire se penche sur les monographies d’emploi pour qu’elles soient revues, réévaluées et que les salaires suivent en conséquence.

L’autre enjeu, c’est la surcharge de travail. « On nous en parle partout », dit Bruno Boutin, « maintenant tout le monde fait de tout et tout va plus vite ». Ça pose des dangers en information, surtout à l’international. De nos jours, un correspondant peut être envoyé seul à l’étranger avec un technicien pour couvrir une crise. L’ennui, c’est que l’équipe réduite aura à alimenter une vingtaine de demandeurs de contenu (autant des émissions d’information à la télé et à la radio que les différentes plateformes Web). « Il y a un danger réel pour la qualité de l’information », pense le syndicaliste,

« les journalistes ne savent plus où donner de la tête, le risque d’erreur est accru et au final c’est la crédibilité qui est mise à l’épreuve. » Vient finalement la question des statuts d’emploi. Il y a actuellement 40 % d’employé-es à statut précaire à Radio-Canada et le syndicat demande un plus grand nombre de permanences. L’employeur, lui, aimerait étendre le statut de permanent à temps partiel. Le syndicat n’est pas très chaud à l’idée et demande des précisions. Comme si ce n’était pas suffisant, l’employeur voudrait abolir les listes d’appel au travail par ancienneté, ce qui est inacceptable pour les membres du syndicat qui voudraient plutôt une refonte des listes pour qu’elles soient uniformes pour tout le monde (il y en a deux actuellement, mais celles des journalistes et du personnel de production sont labyrinthiques).

Bruno Boutin mentionne un gain obtenu en cours de négociation sur la question de l’ancienneté d’entreprise, particulièrement pour les employé-es temporaires. En effet, les textes sur la notion de bris de service ont été modifiés. Dorénavant, au lieu d’une seule journée sans travail, il faudra un mois avant de constater un bris de service et les gens pourront l’éviter en utilisant leurs congés ce qui leur permettra de conserver leur ancienneté. Évidemment, les nouveaux textes n’entreront en vigueur que lors de la signature finale de la convention.


Extrait du numéro de février 2018 du journal Le Réflexe