En prévision de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, Le Réflexe est allé à la rencontre des membres du Comité des femmes du conseil central. Elles sont syndicalistes et féministes, mais encore? Qui sont-elles? Qu’est-ce qui motive leur engagement? Qu’est-ce qui les inspire? Portrait.

Par Nicolas Lefebvre Legault, Conseiller à l’information

Qui sont-elles?

Emilia Castro est une personne ressource au comité des femmes. Réfugiée politique arrivée au Québec en 1974, suite au coup d’État de 1973 au Chili. Travailleuse en garderie, elle participe à la fondation du premier syndicat des garderies au Québec. Élue au comité exécutif du conseil central en 1991, elle est notamment responsable des dossiers de la condition féminine et de la formation jusqu’à sa « retraite » en 2017. Elle poursuit depuis son militantisme féministe.

Élisabeth Cyr est membre du comité des femmes. Chargée de cours à l’Université Laval, elle fut d’abord élue déléguée syndicale en 2013, puis agente des relations du travail dans son syndicat. Elle s’implique notamment au comité info-mob.

Louise Labrie est membre du comité des femmes. Travailleuse en garderie, elle est élue sur le comité exécutif de son syndicat en 1986. Elle s’est presque tout de suite impliquée au comité des femmes du conseil central. Elle a occupé plusieurs fonctions tant au conseil central que dans sa fédération. Elle est, aujourd’hui, présidente de son syndicat et représentante du secteur des Centres de la petite enfance (CPE) à la FSSS..

Linda Mercier est membre du comité des femmes. Secrétaire médicale, elle a commencé à s’impliquer syndicalement dès sa première année dans le réseau de la santé, il y a 26 ans. Elle a été présidente de son syndicat local pendant 15 ans et est aujourd’hui impliquée au conseil central où elle est, notamment, représentante à la vie régionale pour la région Beauce Les Etchemins.

Barbara Poirier est responsable politique du comité des femmes. Technicienne en administration, au niveau de l’approvisionnement dans le réseau de la santé, elle est élue présidente de son syndicat local en 2009 et a mené une féroce campagne de maraudage dans le cadre des fusions forcées imposées par le ministre Barrette. Elle est élue vice-présidente du conseil central en 2018, où elle est, notamment, responsable des dossiers de condition féminine et de la formation.

Chantale Raymond est salariée de l’équipe de travail du conseil central en soutien au comité des femmes. Secrétaire-comptable, elle est au service de la CSN depuis 2002, d’abord au Conseil central du Bas-Saint-Laurent puis à celui de Québec–Chaudière-Appalaches depuis 2012.

Soif de justice

Certaines sont arrivées au syndicalisme par hasard, d’autres par inclinaison personnelle, mais toutes ont une soif de justice et, disons-le, un petit côté rebelle.

« Ce qui m’a amené à m’impliquer, c’est que je préfère m’organiser plutôt que de me faire organiser », raconte Linda Mercier, « j’ai un désir de justice innée et, dès ma première année, je me suis retrouvée au syndicat ».

« Moi, je suis arrivée au syndicat par accident, parce qu’il y avait une vacance à la présidence et que personne ne voulait le faire, mais c’est une des plus belles choses qui me soit arrivé », raconte Barbara Poirier, « j’ai vu le rôle important que ça avait pour les femmes, tout ce qu’il y a à faire à tous les niveaux. Aux élections suivantes, je me suis représentée par choix. C’était inconcevable de ne pas poursuivre le combat engagé. »

« J’ai toujours eu une tête de cochon et j’ai vécu toute sorte de choses sur le marché du travail », raconte Élisabeth Cyr, « si j’ai commencé à m’impliquer au syndicat, c’est pour arrêter d’être une victime, pour comprendre et changer le système de l’intérieur ». « Il faut défendre les autres aussi, pas seulement soi-même, tout le monde doit profiter de nos victoires », pense la chargée de cours, « le syndicat est un lieu privilégié pour ça ».

« Je suis arrivé au syndicalisme par accident ! », raconte Chantale Raymond, « j’ai beaucoup besoin de justice dans la vie, j’étais travailleuse autonome avec ma propre entreprise et un client syndiqué CSN a remarqué ce trait de caractère. Un jour, il m’a dit qu’il y avait un poste d’ouvert au conseil central et que je devrais appliquer ».

« Je milite depuis l’âge de 12 ans, j’étais réfugiée politique et je refaisais ma vie au Québec. Pour moi, c’était juste normal de chercher à me syndiquer », raconte Emilia Castro qui a fondé le premier syndicat de garderie au Québec.

« Ce qui m’a amené, c’est un intérêt personnel de toujours », raconte Louise Labrie, « avant d’être syndiquée, j’étais dans un milieu non réglementé et j’ai vu beaucoup d’abus. Alors quand je suis arrivé dans un milieu syndiqué, j’étais contente et, comme j’avais déjà le background, je me suis impliquée dans les mois qui ont suivi. »


Contre la violence

Si les raisons de s’impliquer syndicalement sont multiples, presque toutes nomment la violence faite aux femmes comme source de leur féminisme.

« Ce qui m’a amené au féminisme, c’est de vouloir défendre des femmes, contre la violence surtout », explique Linda Mercier, « je viens d’un milieu où j’ai été témoin de beaucoup de violence et d’injustice et ça me fatiguait pas mal. Le syndicalisme m’a fait découvrir des réseaux qui luttent contre ça. »

« C’est très tard que j’ai réalisé que j’avais le droit de nommer la violence que je voyais à tous les niveaux », confie Élisabeth Cyr, « que ma révolte était saine, quand j’ai découvert le féminisme, j’ai essayé de tout lire, de comprendre tous les courants, j’ai vu que j’étais à ma place. »

« Pourquoi le féminisme en particulier? Je viens d’un milieu où je n’en ai pas vécu, mais j’ai vu de la violence. Ça m’a interpellé », dit Louise Labrie, « je me considère privilégiée comme femme et comme travailleuse, mais dans mon âme de missionnaire, c’est la cause qui prime. »

« Moi, j’étais une militante politique, de gauche. C’est à mon arrivée au Québec que j’ai commencé à côtoyer des féministes », raconte Emilia Castro. « C’est en 1975, lors de l’année internationale de la femme, que j’ai compris qu’il y avait une dimension que je n’avais pas touchée par mon militantisme. On a monté un projet de revue féministe et socialiste, Marie Géographie, ça a duré trois ans. Depuis, j’ai toujours eu un pied dans le féminisme, un pied dans le syndicalisme. »

« Un des mots que j’aime le plus c’est « courage ». Je suis capable d’argumenter, de parler fort, jusqu’à ce que les adversaires soient convaincus, j’ai cette ténacité-là », raconte Barbara Poirier, « derrière chaque injustice se cachent 1000 injustices, on ne peut pas régler ça juste au travail, d’où le féminisme. Chacune de nos victoires, on peut les faire appliquer à toutes, et ça a encore plus de saveur, quand on va chercher quelque chose pour des femmes, comme dans mon syndicat, et qu’on l’arrache à des gestionnaires qui sont, encore trop souvent, des hommes. »

« Pour moi, ce n’est pas un choix, ça vient de mon éducation », indique Chantale Raymond, « mais j’aurais envie d’inverser la question : pourquoi tu ne t’intéresses pas au féminisme? parce que c’est ça qui n’est pas naturel en fait. »


Une responsabilité spécifique

Les syndicats ont une responsabilité particulière : faire avancer la cause des femmes dans les milieux de travail et travailler à l’égalité de fait, en faisant reculer toutes les discriminations.

« Le syndicalisme a clairement une responsabilité particulière dans la lutte féministe, celle de faire avancer les conditions de travail et les conditions de vie des femmes », rappelle Louise Labrie, « le milieu dans lequel on évolue permet aussi de faire de l’éducation : on est dans une centrale mixte, on n’est pas isolées « entre femmes », le fait de s’adresser à des femmes par le biais du travail amène aussi à ratisser large. »

« Si on est à la CSN, les travailleuses des CPE, c’est grâce à Monique Simard [alors vice-présidente à la CSN], personne ne voulait nous recevoir », se rappelle Emilia Castro, « notre lutte était autant pour nos conditions de travail que pour la reconnaissance des services de garde. C’est grâce à des féministes dans les syndicats qu’on a fait des avancées. On risque de perdre des acquis, il y a encore beaucoup de travail à faire. »

« C’est important de maintenir la barre haute, à chaque convention collective, on en perd un peu, » lance Linda Mercier, « le discours change, les gens sont moins dans une dynamique de faire des gains, de changer les choses. Si on veut conserver nos acquis, il va falloir qu’il se passe quelque chose. »

« Bien sûr, on en gagne des affaires, mais pas encore assez », renchérit Barbara Poirier, « pourquoi est-ce qu’aujourd’hui encore, il se passe des affaires innommables? Le combat n’est pas gagné, je suis là parce que je suis capable de me battre et que j’y crois. »


Des gains inspirants?

Qu’est-ce qui inspire les syndicalistes féministes? Face à la morosité ambiante, de quels gains sont-elles fières?

« Pour moi, c’est clairement la lutte dans les CPE », indique Louise Labrie, « si je devais nommer un gain en particulier, ce serait les échelles de salaire en 1999, mais vraiment, c’est tout le travail qu’on a fait pour que l’on reconnaisse le travail en CPE. »

« Je suis particulièrement fière de l’équité salariale, même s’il y a encore du travail à faire », ajoute Linda Mercier. « C’est important l’équité salariale, ça faisait des années que les syndicats revendiquaient ça, », renchérit Emila Castro, « ce qui a fait débloquer le dossier, c’est de l’intégrer dans la plateforme de la Marche des femmes. C’est devenu une revendication du mouvement féministe au complet, ça nous a donné le rapport de force nécessaire pour la gagner. »

« Une lutte que je trouve inspirante, c’est la lutte pour le droit à l’avortement », pense Élisabeth Cyr, « c’est de dire que le corps des femmes leur appartient. On est encore là-dedans avec le consentement, les dictats sur l’habillement, et il y a des reculs. »

« Moi, ce qui m’inspire, c’est quand je réussis à faire augmenter le salaire d’une femme, par exemple avec un reclassement, j’aime ça », conclut Barbara Poirier.


Féministes tant qu’il le faudra

Un certain discours fait croire que l’égalité est atteinte, que le féminisme est dépassé. « Bullshit! », répond du tac au tac Linda Mercier.

« La justice se laisse désirer, il y a tout le phénomène du plafond de verre, y compris dans les syndicats, la violence qui perdure, les différences en emploi, l’écart dans les salaires », pense Louise Labrie, « toutes les statistiques font la démonstration que l’égalité n’est pas atteinte. »

« Tant et aussi longtemps qu’il y aura de la discrimination et que l’égalité de fait ne sera pas atteinte, alors le féminisme sera nécessaire », croit Emilia Castro.

Et ce ne sont pas les enjeux qui manquent selon les militantes.

« Malheureusement, la question de la violence faite aux femmes est encore d’actualité », rappelle Louise Labrie, « tout l’aspect de la conciliation travail/famille demeure aussi un enjeu, tant en organisation du travail que dans les conditions de vie. »

Linda Mercier renchérit sur la conciliation travail/famille et nomme l’enjeu du retrait préventif. « On entend encore des gestionnaires dire : « Ah non, j’en ai encore une qui est tombée enceinte! » », s’exclame Barbara Poirier, « ben voyons donc! Elle avait toujours ben un utérus quand elle a été embauchée! C’est inexcusable en 2019 ».

« Il y a toute la question des stages qui est d’actualité », conclut Élisabeth Cyr, « dans les milieux à majorité féminine comme en santé et en éducation, ils ne sont toujours pas rémunérés. » Un enjeu émergeant sur lequel la CSN devra bientôt se pencher étant donné les campagnes de grève en cours dans les milieux étudiants.


Extrait du numéro de février 2019 du journal Le Réflexe