Le Syndicat des employés du transport public du Québec métropolitain, qui représente les chauffeurs du RTC, est actuellement sur la sellette. Négociation ardue, moyens de pression, menace de grève… Il est normal que l’on en parle beaucoup. Cependant, saviez-vous que le syndicat des chauffeurs du RTC est le doyen des syndicats CSN au Québec? Et si l’on profitait de l’occasion pour prendre un peu de hauteur et de perspective historique.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information CCQCA

Des débuts timides

L’Action catholique du 11 juillet 1931. Source : BANQ

C’est en 1864 que débute, bien timidement, le transport en commun à Québec : il y avait 6 chars, de 12 à 24 passagers (que l’on soit l’été ou l’hiver), tirés par des chevaux. Les conditions de travail ne sont pas de tout repos : les journées durent quinze heures et commencent à cinq heures du matin. La paie est mauvaise : 8 $ par semaine pour 6 jours de travail. À l’époque, il est rigoureusement interdit de se syndiquer et on pouvait finir en prison si on se risquait à faire la grève.

Les premiers tramways électriques (8) entrent en fonction le 20 juillet 1897 pour compléter les 6 chars hippomobiles. Il y a, à cette époque, une cinquantaine d’employés qui gagnent 1,50 $ par jour pour des journées de 12 heures. Depuis 1872, les travailleurs ont le droit de se syndiquer, mais il faudra attendre 1906 pour que soit fondée la Fraternité nationale et catholique des employés de tramways. Il a fallu 14 ans à l’employeur pour reconnaître officiellement le syndicat (en 1920) et il ne le fera que pour écarter des syndicats internationaux plus combatifs.

À l’époque, la fraternité est sous la coupe de l’Église et d’une idéologie prônant la bonne entente entre patrons et ouvriers. La grève, c’est pour les socialistes et les athées de Montréal, pas pour les bons ouvriers catholiques de Québec. Les représentants des patrons et de l’Église sont donc invités à prendre la parole durant les événements organisés par le syndicat (incluant des pèlerinages à la fin des années 1940).

En 1938, le premier autobus fait son apparition à Québec. Les jours du tramway sont maintenant comptés. En 1948, c’est fini, le dernier tramway rentre au garage. On s’inquiétait peu, à l’époque, du prix à payer pour passer d’une technologie à l’autre. C’était le

« progrès »… Notons au passage qu’abandonner le tramway a coûté 4,1 millions de dollars (sans compter la perte nette que constitue le remisage des véhicules). Il faudrait voir si, toute proportion gardée, ça nous coûte à peu près la même chose pour introduire le SRB! Sans commentaire…


Révolution pas si tranquille

La première grève des chauffeurs d’autobus, en mai 1968, a fait la Une des quotidiens

Avant même le début de la « Révolution tranquille », le syndicalisme catholique québécois fait l’expérience des limites de la théorie sociale de l’église. De grandes grèves secouent la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) à laquelle adhère la fraternité. Grève de l’amiante en 1949, grève de Louiseville en 1952, grève de Murdochville en 1957, grève de Radio-Canada en 1959, autant de coups de tonnerres annonciateurs de temps nouveaux…

En 1960, le temps s’accélère. Le premier gouvernement Lesage est élu, c’est le début de la « Révolution tranquille ». Dans la foulée, le conseil central et ses syndicats demandent, en 1965, la municipalisation du transport public à Québec. En 1968, Québec vit sa première grève (une semaine) des chauffeurs d’autobus. Pas fous, ils veulent une clause de sécurité d’emploi en cas de vente ou de fusion de la compagnie. Ils ont eu raison, puisqu’un an plus tard la loi créant la CTCUQ (l’ancêtre du RTC) était votée. Du coup, sept compagnies privées sont expropriées et fusionnées. Les grands gagnants de cette bataille historique sont les usagères et les usagers. Les trajets et les tarifs sont uniformisés et dorénavant les gens n’ont plus qu’à payer une seule fois. C’est le début du transport en commun moderne à Québec, une vraie petite révolution. Au passage, le syndicat des chauffeurs a gagné une bien plus grande force de frappe.


Combativité syndicale

La combativité, presque légendaire des chauffeurs d’autobus, s’est construite tout au long des années 1970 qui ont été ponctuées de plusieurs grèves très dures. En 1971, à la suite d’une grève d’un mois, le syndicat gagne la semaine de 40 heures, 3 semaines de vacances après 3 ans de service, la cogestion du fonds de pension et le droit de participer au choix de l’assureur. En 1974, il y a une nouvelle grève de 49 jours pour améliorer la convention. C’est un match nul.

La plus longue grève de l’histoire du transport en commun à Québec a toutefois eu lieu en 1979. À l’époque, l’employeur veut introduire des chauffeurs à temps partiel. Le syndicat ne veut rien savoir. C’est la grève. Elle sera longue, tellement longue que la CTCUQ a le temps de construire un nouveau garage. Neuf mois de grève, sans « services essentiels », qui se soldent par une victoire des chauffeurs. Mais à quel prix? C’est de là que date la mauvaise réputation et la mauvaise presse dans les médias quant à ce syndicat. Pendant trois décennies, les syndiqué-es ne pourront plus compter que sur eux-mêmes et leur rapport de force : finie la solidarité du public!

Au fil des ans, les chauffeurs et chauffeuses d’autobus ont gagné leur place dans la classe moyenne et se sont dotés de conditions de travail décentes. Leur pratique syndicale est basée sur l’autonomie et la démocratie (plus de 500 membres à leur dernière assemblée générale). Depuis 40 ans, les salarié-es résistent à une offensive patronale pour leur enlever ce qu’ils ont obtenu. Normalement, un syndicat démocratique avec une telle feuille de route servirait d’exemple et serait une fierté. Pas à Québec! Ici, la combativité et la solidarité, c’est suspect… même après 12 ans de paix industrielle. Chaque syndicat se retrouve dans la position peu enviable de la forteresse assiégée.

Et l’intégration des femmes?

Le système de transport en commun donne l’image d’un milieu de travail traditionnel où les femmes ont pu faire leur place et s’intégrer. Il n’est plus rare aujourd’hui d’être conduit par une chauffeuse d’autobus (en 2006, environ 20 % des chauffeurs étaient des chauffeuses). C’est un acquis tout récent. En effet, les premières femmes n’arrivent à la CTCUQ qu’en 1988. Heureusement, le comité exécutif était ouvert et sensible aux difficultés d’un milieu de travail traditionnellement masculin. Avec l’aide de la conseillère Rolande Hamel de la CSN, un comité de la condition féminine fut créé avec des sièges réservés pour ses représentantes au conseil syndical (l’instance entre l’assemblée générale et l’exécutif). Pour faciliter le tout, des activités d’intégration ont été organisées au conseil syndical. Finalement, des clauses concernant les congés de maternité et les retraits préventifs ont été ajoutées à la convention collective.


(Basé en partie sur un texte écrit dans une autre vie à l’occasion du 100e anniversaire du syndicat des chauffeurs.)


Extrait du numéro de mai 2017 du journal Le Réflexe