Le Travailleur était l’organe du Secrétariat des syndicats catholiques à Québec au début des années 1920 (un lointain ancêtre du Réflexe)
1921-2021

La CSN dans le siècle

2021 est l’année du centenaire de la CSN. Quel est l’impact de sa fondation et de son action dans le siècle? Qu’est-ce qu’elle a de particulier, qu’est-ce qu’elle a amené au mouvement syndical? Pour en savoir plus, nous avons parlé avec l’historien Jacques Rouillard.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information


Avant la CSN

Contrairement à une croyance largement répandue, le Québec n’accuse pas de retard par rapport à ses voisins en termes d’urbanisation, d’industrialisation ou de diffusion du syndicalisme au début du siècle. 

Selon Jacques Rouillard, le syndicalisme est déjà bien implanté au Québec lors de la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC, premier nom de la CSN). 

« En 1921, il y avait 100 000 membres des syndicats internationaux au Québec, les deux tiers francophones, » explique Jacques Rouillard, « c’est lorsqu’ils commencent à sortir de Montréal et débordent en région que le clergé décide de réagir. » L’Église craint ces syndicats qu’elle accuse d’être trop conflictuels et de diffuser des idées anticléricales et socialistes comme la nationalisation des services publics et l’école gratuite et non-confessionnelle.

En réaction, le clergé commence à fonder des syndicats catholiques à partir de 1912 (dont un syndicat de mineurs à Thetford Mines en 1915). À Québec, où il existe un bon bassin de syndicats nationaux qui refusent l’affiliation aux unions internationales, l’Église mène campagne pour les convertir au syndicalisme catholique (ce qui sera fait en 1918).

Jacques Rouillard est historien et professeur à l’Université de Montréal. C’est un spécialiste de l’histoire des travailleuses et des travailleurs et du syndicalisme au Québec. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont une Histoire de la CSN publiée en 1981.

La Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) est le premier nom de la CSN. C’est en 1960, avec la déconfessionalisation de la centrale, qu’a lieu le changement de nom. Ci-contre, le 1er logo.


Photo souvenir du congrès de fondation de la CTCC.
1920-1940

Syndicalisme catholique

C’est en 1921, le 24 septembre pour être plus précis, qu’est fondée à Hull la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). « À l’époque, la centrale représente 23 000 membres et 24 % des syndiqués québécois, » précise Jacques Rouillard. « Alors que le bastion des internationaux est à Montréal, celui de la CTCC est à Québec et en régions. »

Selon Jacques Rouillard, les structures des syndicats catholiques sont beaucoup plus souples que celles des internationaux. « Ça va leur permettre de syndiquer des gens qui ne l’étaient pas dans les services, les municipalités ou les pompiers et de contribuer ainsi à maintenir un bon taux de syndicalisation au Québec, » dit-il.

« Les syndicats catholiques sont souvent présentés comme des syndicats jaunes mais ce n’est pas le cas, » explique Jacques Rouillard; « de 1920 à 1940, les syndicats catholiques ont mené quarante grèves dont certaines très importantes comme dans la chaussure à Québec ou dans les chantiers maritimes de Sorel. » 

Syndicats jaunes, se dit de syndicats qui refusent les grèves et prônent la bonne entente avec les patrons au détriment des intérêts des travailleuses et des travailleurs.  

« Il va s’établir très tôt un écart important entre le discours et la pratique syndicale, » explique l’historien. « Au plan du discours, on prône le corporatisme et on mise sur l’esprit de justice des employeurs et la bonne entente pour améliorer le sort des travailleurs mais au plan concret, on est très loin de ça. » Dès 1918, les laïcs issus des syndicats nationaux amènent plutôt des pratiques syndicales comme la négociation collective, l’organisation par métier, les fédérations professionnelles, l’atelier fermé et le recours à la grève au besoin. « Les syndicats nationaux de Québec, qui ont déjà une longue histoire derrière eux, influent beaucoup sur les pratiques du syndicalisme catholique. »

Parmi les aspects plus négatifs, on note que l’influence du clergé amène les syndicats catholiques à adopter des positions qui semblent bien réactionnaires aujourd’hui. « Les syndicats catholiques s’objectent à l’instruction gratuite et obligatoire, c’est même leur première intervention publique en 1918, » rappelle Jacques Rouillard. « Ils sont aussi opposés au droit de vote des femmes et à la nationalisation des services publics. Dans leurs représentations auprès du gouvernement fédéral, ils ont une optique ‘’canadienne-française’’ bien étrangère aux syndicats internationaux, par exemple en revendiquant que le 24 juin soit une journée fériée. »


La direction de la CTCC dans les années 1940 et 1950. Ici, en juin 1949, dans les rues d’Asbestos, on reconnaît Jean Marchand et Gérard Picard, respectivement 3e et 4e de gauche à droite. Photo: Archives CSN
1940-1960

La lente déconfessionnalisation

À partir des années 1940, la CTCC entreprend une lente déconfessionnalisation qui culminera en 1960 avec le changement de nom. On commence par admettre les membres non catholiques et leur donner les mêmes droits qu’aux catholiques en 1943, plusieurs syndicats biffent la mention « catholique » de leur nom, on s’éloigne de la doctrine sociale de l’Église et on abandonne le corporatisme comme objectif lointain. 

« On ne peut pas dire que dans cette période la CTCC se distingue des autres organisations syndicales, au contraire, il y a un rapprochement, » note Jacques Rouillard. « Le projet social de la centrale est très comparable à celui des internationaux. » La centrale se découvre plus militante, elle s’oppose à Duplessis, créé un fonds de grève au début des années 1950.

De nouvelles lois encadrant les relations de travail permettent un développement du syndicalisme. « De 1940 à 1960, le taux de syndicalisation passe de 20 à 30 %, » relate Jacques Rouillard, « la CTCC passe de 46 000 à 100 000 membres et se développe beaucoup dans la métallurgie, les hôpitaux et les municipalités. Ces années se révèlent d’une grande prospérité marquée par une élévation jamais vue du niveau de vie des québécois, c’est une étape capitale dans l’amélioration de la condition ouvrière; le salaire moyen réel double en 20 ans. »

La centrale défend toujours un nationalisme pancanadien et le bilinguisme. « La CTCC réclame des pensions de vieillesse et l’assurance-chômage au gouvernement fédéral qui est vu comme plus progressiste, » explique Jacques Rouillard, « avec Duplessis au pouvoir à Québec, l’idée d’autonomie provinciale est très mitigée. »


Scène du premier front commun du secteur public (1972). Photo : Archives CSN
1960-1980

Poussée de fièvre

La CSN se distingue des autres centrales syndicales dans les années 1960 et 1970. « Au début des années 1960, la CSN joue un rôle très important dans la syndicalisation du secteur public et le membership augmente de façon significative, » note Jacques Rouillard; « elle a le vent dans les voiles, elle est perçue de façon positive comme très militante. »

Le nouveau code du travail, adopté en 1964, reconnaît le droit de grève dans le secteur public, une première qui place le Québec à l’avant-garde en Amérique du nord. « Il y a un fort militantisme de la centrale à partir de là avec un très haut niveau de grèves à la fin des années 1960 et au début des années 1970, » rappelle Jacques Rouillard. « C’est la CSN qui est responsable de la création du premier front commun du secteur public en 1972. » Le militantisme syndical est alors très payant et les salaires augmentent rapidement.

« La CSN se distingue par la radicalisation de son discours dans les années 1960 et 1970. On sent une influence marxiste et européenne, elle est très critique du capitalisme et prône un socialisme démocratique, » dit Jacques Rouillard. 

C’est à cette époque qu’émerge l’idée que la seule négociation collective est insuffisante pour corriger l’injustice sociale et qu’il faut ouvrir un « deuxième front ». « Le soutien apporté alors aux groupes populaires est très manifeste, c’est le résultat du type de militantisme que l’on trouve alors à la CSN. Mais même si on l’accuse de politiser les relations de travail, la centrale ne s’implique jamais en politique partisane, elle reste fidèle à sa constitution même si elle se radicalise. »

Mais cette croissance rapide et cette radicalisation ne vont pas sans turbulences. « Après l’euphorie des années 1960, la décennie suivante est particulièrement affligeante pour la CSN, » rappelle Jacques Rouillard. « Elle a perdu 70 000 membres en quelques années, le pourcentage de syndiqués qu’elle représente passe de 32 % en 1960 à 21 % en 1981. » Au fond, une partie substantielle de syndiqués n’accepte pas le virage idéologique qu’effectue la CSN au milieu des années 1960 croit l’historien.

Cela n’empêche pas la centrale de jouer un rôle très important en santé et sécurité au travail dans les années 1970. La deuxième grève de l’amiante, en 1975 à Thetford Mines, est primordiale dans la reconnaissance des maladies professionnelles. L’adoption de la Loi en santé et sécurité du travail en 1979 viendra couronner une décennie de militantisme syndical sur cette question. « La FTQ aussi s’est investie dans ces questions mais c’est surtout la CSN qui en fait un cheval de bataille, » explique Jacques Rouillard. 

C’est à cette époque que le discours de la centrale passe de la défense du Canada français au Québec français selon Jacques Rouillard. « En 1970, la centrale abandonne le bilinguisme pour revendiquer l’unilinguisme français. Elle sera parfaitement en accord avec la loi 101 quelques années plus tard, » note l’historien. « La centrale se prononce également pour l’indépendance du Québec mais elle demeure très critique et préfère une indépendance associée à un socialisme démocratique. »


1980 à nos jours

Affaiblissement

Les années 1980 sont une période d’affaiblissement du syndicalisme, selon Jacques Rouillard. « Il y a un virage qui se fait à partir des décrets de 1982-1983, » note-t-il. « Auparavant, les négociations du secteur public avaient un effet d’entraînement sur le secteur privé mais à partir des reculs imposés par décret, les syndicats sont placés sur la défensive. » 

C’est une époque de chômage élevé et de crise économique. « On assiste à une érosion des attentes des syndiqués, les attentes sont très modestes, » dit Jacques Rouillard, « il y a des revers dans le secteur public, les centrales sont en difficulté et le militantisme n’est plus ce qu’il était. » Il y a un recul du taux de syndicalisation même si le Québec demeure l’un des endroits les plus syndiqués en Amérique du nord.

« La CSN devient sensible à la santé économique des entreprises, elle souscrit à l’idée de concertation dans les années 1990, » rappelle Jacques Rouillard, « c’est l’époque de la création de Fondaction; on est loin de la critique du capitalisme. » Depuis la fin des années 1980, la majorité des effectifs de la CSN sont féminins et elle regroupe autour de 21 % des effectifs syndiqués. 


Pour approfondir le sujet

Jacques Rouillard est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du syndicalisme dont ceux-ci que l’on trouvera en bibliothèque.

Histoire de la CSN 1921-1981. Montréal, Boréal/CSN, 1981. 335p

Le syndicalisme québécois. Deux siècles d’histoire. Montréal, Boréal, 2004., 335p

L’expérience syndicale au Québec. Ses rapports avec l’État, la nation et l’opinion publique. Montréal, VLB éditeur, 2009. 394p.


Extrait du numéro de mai 2021 du journal Le Réflexe