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Violence conjugale en pandémie

On a beaucoup parlé dans les médias de l’impact du confinement sur la violence conjugale, c’est pourquoi nous avons rencontré Maryse Martel, intervenante à la Maison des femmes de Québec pour en savoir plus.

Par Nicolas Lefebvre Legault, conseiller à l’information


L’augmentation de la violence conjugale et la difficulté d’en sortir, en contexte de pandémie, est un phénomène observable sur le terrain selon Maryse Martel. « Tout à fait, ça a un impact, » nous dit-elle, « on a beaucoup moins d’appels et la violence s’est intensifiée : elle est plus grave, plus fréquente. On le voit chez les femmes qui viennent à la maison, elles attendent plus longtemps avant de venir et ça a beaucoup d’autres conséquences. » 

L’organisme a dû trouver d’autres moyens pour rejoindre les femmes. « Avant, les femmes étaient référées par la police, leur médecin de famille, une travailleuse sociale, la DPJ, etc. mais les femmes ne sont plus seules avec les professionnelles; elles consultent au téléphone. C’est difficile pour les professionnelles de la santé et des services sociaux d’identifier la violence si on ne voit pas les femmes, » explique Maryse Martel. « Les femmes sont allées vers d’autres partenaires qu’on voyait moins avant, des pharmaciens par exemple. On a même un facteur qui a fait un signalement, c’est des choses qu’on ne voyait pas avant. »

« Quand on a entendu qu’il y aurait un couvre-feu, on a fait ‘’wo!’’, » raconte l’intervenante, « comment les femmes vont faire pour sortir? On perd toute légitimité de sortir après 20 h, d’où toute l’importance des campagnes de pub sur le thème ‘’vous ne pouvez pas sortir mais vous pouvez fuir’’. » L’organisme s’est d’ailleurs assuré auprès de ses partenaires de l’équipe en violence de la police que jamais les agents du SPVQ ne vont intervenir auprès de victimes de violence conjugale sans venir voir la Maison des femmes. « Il faut absolument que les femmes puissent fuir en tout temps, il ne faut pas qu’il y ait cette pression de devoir partir avant 20 h, » ajoute Maryse Martel.

La Maison des femmes de Québec

L’organisme fêtait son 40e anniversaire en octobre dernier. Il s’agit d’une des premières maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale au Québec. « Au départ, c’était une collective, un centre de documentation. Nous sommes dans nos locaux actuels depuis 1990, » précise Mme Martel, « nous travaillons avec les femmes et les enfants. Ce qu’on offre c’est un service 24/7 qui comprend de l’écoute, un service téléphonique, l’hébergement et le soutien externe. »

La maison en tant que telle compte 14 places pour des femmes et leurs enfants dans sept chambres. « On accueille habituellement environ soixante-dix femmes et une quarantaine d’enfants par année; ça c’est une maison de taille ‘’moyenne’’ au Québec, il y a de plus petites et de plus grandes. » L’intervention se fait dans une approche féministe et vise à créer les conditions pour que les femmes puissent reprendre du pouvoir sur leur vie. En plus de les soutenir, de les écouter et de les accompagner dans leurs démarches, la Maison lutte activement pour la défense des droits collectifs des femmes et pour une société égalitaire sans violence.

Impact sur la ressource

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« On a une approche féministe en cogestion, une pandémie ça affecte ça c’est sûr, » confie Maryse Martel. « Cette année, on n’a pas eu le choix de réduire à 7 le nombre de places dans la maison pour répondre aux normes de la santé publique et offrir la distanciation physique. On avait peu de règles à l’hébergement mais on n’a pas eu le choix d’en établir : on a été obligés de se réinventer à l’envers, d’être plus coercitifs. »

« Pour l’équipe aussi ça a un impact énorme. Ça a complètement changé notre milieu de travail. Par exemple : prendre des décisions en équipe, c’est plus dur avec zoom!, » explique l’intervenante. « Nous on s’en sort bien, on est chanceuses mais on est très, très inquiètes de l’impact que la pandémie aura eu sur la violence conjugale. »

Solidarité

« On a senti une grande solidarité et beaucoup d’appui dans la population depuis le début de la pandémie, » dit Maryse Martel, « la cause de la violence conjugale a la cote; on a senti l’appui des médias. » Pour l’intervenante, il faut demeurer vigilants face à la violence conjugale dans notre entourage. « Si vous vous rendez compte que quelqu’un vit de la violence conjugale n’hésitez pas à intervenir : c’est important, ça peut sauver des vies. »

Il est possible de soutenir le travail de la Maison des femmes de Québec par des dons. Toutes les sommes récoltées sont directement utilisées pour combler les besoins des femmes. « Quand on reçoit des dons, c’est vraiment aidant, » confirme Maryse Martel, « c’est une forme de reconnaissance de notre travail. »

Sous-financement

La pandémie aura jeté une lumière crue sur le sous-financement des ressources communautaires. « Il y a de l’argent qui a été investi mais c’est beaucoup moins qu’annoncé et les sommes reçues cette année ne seront pas récurrentes, » nous informe Maryse Martel. « On vient tout juste d’avoir les fonds qui ont été annoncés en avril 2020; l’argent n’est même pas encore déposé dans notre compte [en février]. »

« On a besoin de financement récurrent, COVID ou pas, » dit Maryse Martel. « On a de la misère à recruter, on est en compétition avec le réseau de la santé et des services sociaux. On n’est juste pas capables d’offrir les mêmes salaires. » La militante s’inquiète de la pénurie de main-d’œuvre. « On ne veut pas devenir un tremplin vers un emploi dans le réseau : on a besoin de personnes compétentes pour travailler en maison d’hébergement, on ne veut pas embaucher par dépit. »


Pour plus d’information : 

> maisondesfemmesdequebec.com


Selon un sondage mené par Statistique Canada au début de la pandémie, 1 femme sur 10 redoutait la possibilité de la violence conjugale.

Selon un autre sondage, réalisé par l’ASPQ en octobre 2020, pour 29 % des femmes victimes de sexisme, de brutalité ou de violence sexuelle, les agressions ont été plus fréquentes depuis le début de la pandémie. 


Extrait du numéro de mars 2021 du journal Le Réflexe