La judiciarisation et la bureaucratisation du régime, qui transforment l’indemnisation des personnes accidentées ou malades du travail en véritable parcours du combattant, sont dénoncées depuis des années. Pourtant, le projet de loi ne permet pas de corriger les abus les plus flagrants, au contraire, il en rajoute.

Non seulement le ministre maintient le Bureau d’évaluation médicale (BEM), fer de lance de la judiciarisation, mais écarte complètement les médecins de la santé publique des efforts de prévention et donne davantage de pouvoir aux médecins de la CNESST au détriment du médecin traitant.

Mathieu Charbonneau, chercheur à l’IRIS

Selon Mathieu Charbonneau, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), il y a un lien à faire entre le mode de financement du régime québécois de santé-sécurité au travail et la judiciarisation du système. « Au Québec, on a installé un régime où les volets réparation et prévention sont séparés, avec une mutualisation des risques en fonction des secteurs », explique-t-il, « or, à la fin des années 1980, on a commencé à personnaliser les taux selon l’expérience du milieu de travail. » « C’est comme une prime d’assurance établie en fonction de notre propre expérience de risque », explique Mathieu Charbonneau, « la justification de la CNESST c’est que c’est un incitatif pour les employeurs à investir en prévention, mais quand on regarde la littérature, il n’y a aucune étude qui fait un lien entre les deux. » 

Le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN) dénonce la judiciarisation du régime depuis fort longtemps. Le régime parallèle qui s’est dressé, en raison des politiques de la CNESST, fait vivre bon nombre de médecins de papier, avocats, conseillers, mutuelles et bien d’autres. Tous se nourrissent sur le dos des personnes victimes de l’insouciance de leur employeur. Voilà pourquoi le congrès du conseil central de 2019 a donc mandaté l’IRIS afin de faire une étude sur la question. 

Alors, quand l’IRIS s’est mis au travail et a mesuré les effets de ce système d’imputation, les chercheurs ont constaté qu’il y a une augmentation des contestations depuis l’instauration des taux personnalisés. « Ça a ramené une logique de confrontation entre employeur et employé au centre d’un système de ‘’no fault’’ », explique Mathieu Charbonneau, « le mode de financement a un impact sur la lourdeur, les délais et les coûts du régime québécois. »

« Il y a une tendance contraire en Ontario et en Colombie-Britannique où l’on observe plutôt une déjudiciarisation », précise Mathieu Charbonneau. Selon le chercheur, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Le Bureau d’évaluation médicale (BEM), par exemple, est une structure unique au Québec. « Ce n’est qu’ici que la commission peut faire une contestation de la position du médecin traitant », explique le chercheur, « c’est une source immense de judiciarisation. Il y a une série d’effets indésirables que la judiciarisation apporte, ce n’est pas que financier. Ça impose un énorme stress aux gens. » 

Afin de lutter contre la judiciarisation du régime, l’IRIS propose l’abolition du BEM et de la direction des révisions administratives, une réforme du système de contestation, la mise en place de services de conciliation au Tribunal administratif du travail (TAT) et, la création de bureaux de conseillers en matière de santé-sécurité au travail.

« On propose surtout une commission d’enquête sur le financement du régime », dit Mathieu Charbonneau, « le lien entre le financement personnalisé et prévention n’a jamais été fait, il faut amener la CNESST à faire un examen des mutuelles de prévention, de l’impact du financement. Ça fait trois décennies que c’est en place et on n’a jamais fait de bilan. » Pour le chercheur, il faut entendre les voix des gens qui vivent la judiciarisation, ce ne sont pas juste des statistiques. « Il n’y a pas d’autres moyens de faire l’examen et le bilan des conséquences du financement personnalisé, de la série d’effets pervers que les études statistiques ne peuvent pas mettre en lumière, que par une commission d’enquête », conclut-il. n

>> Pour en savoir plus : La judiciarisation du régime d’indemnisation des lésions professionnelles au Québec, Mathieu Charbonneau et Guillaume Hébert, IRIS, 2020


Extrait de l’édition spéciale sur le projet de loi 59 de février 2021 du journal Le Réflexe